Le regard d'un photographe

A la fin des années 1980, ingénieur fraîchement diplômé, Alain Moal se destine à la recherche scientifique. Ses travaux menés dans un laboratoire de l'Ecole des Mines de Paris aboutiront en 1992 à la soutenance d'une thèse de doctorat en Sciences et Génie des Matériaux. C'est durant cette période qu'il prend conscience de la puissance de l'art photographique pour exprimer une vision personnelle sur le monde. Le réalisme poétique des photographes du courant humaniste français de l'après-guerre ainsi que la spontanéité et la dimension sociale de la "street photography" américaine sont des sources d'inspiration dès le début de sa pratique. Vivant dans le sud de la France, il est aujourd'hui chercheur dans le domaine de la sûreté nucléaire. Au delà de son activité scientifique, la photographie lui offre la possibilité d'exprimer un point de vue humaniste en associant représentation esthétique et observation des comportements humains.
Tel un ethnographe, il documente les modes de vie et les réalités sociales de son époque. Dans les situations les plus familières, les plus banales, parfois insignifiantes, il cherche à déceler en chacun les caractères universels qui constituent la condition humaine. Ses photographies confèrent une importance au quotidien de ses semblables dans leur rapport au monde qu'il soit urbain ou rural. Elles proposent une vision personnelle de la tragicomédie humaine qui se donne en spectacle sous ses yeux. Même s'il demeure bienveillant envers les sujets photographiés, il souligne les incongruités et les contradictions de nos sociétés désenchantées. 
La présence du photographe se veut discrète pour ne pas interférer avec la scène photographiée comme un instrument de mesure qui ne doit pas perturber le phénomène physique observé. Ses images prises sur le vif saisissent souvent des situations cocasses prêtant à sourire, des instants de joie et de tendresse mais n'éludent pas les moments de détresse, de tristesse ou de deuil. En quête d'un humour teinté de malice, parfois ironique, il ambitionne de capturer l'instant fugace, lorsqu'un heureux hasard assemble les choses en propositions d'images insolites, drôles ou étranges de scènes du quotidien. En révélant le caractère dérisoire de situations incongrues, parfois absurdes, il invite à nous interroger sur l'homme et ses actions. Témoignages d'instants immédiatement révolus, ses clichés participent à la construction d'une mémoire collective en révolte face à la fuite inexorable du temps et l'éphémère durée de la vie humaine. 

Le noir et blanc est souvent préféré à la couleur car, au delà de son intemporalité, il dissipe l'illusoire fantasme de captation objective du réel qu'induit parfois l'image colorée. En contraignant le spectateur à s'éloigner de la réalité, son regard est plus sûrement guidé vers ce qui semble essentiel à l'auteur. Néanmoins, la couleur s'impose lorsqu'elle accompagne et renforce le message photographique. Que l'humain soit présent dans le cadre ou qu'il en soit exclu, il est souvent le thème central d'une approche photographique supportée par le souci permanent de la composition au service d'une ambition esthétique et poétique. 

La naissance de ce site internet en 2019 a permis de présenter un travail photographique qui n'avait jusqu'alors pas été dévoilé à un large public. 

Il est peut-être possible que dans l'outillage créé par l'ingéniosité des hommes, l'arrivée d'un instrument capable de prendre l'empreinte d'un instant ait le pouvoir de modifier les rapports entre eux.
Robert Doisneau, préface de "Un certain Robert Doisneau", Editions du Chêne, 1986